Nos Journaux, de Georges Lepreux




Nos journaux, de Georges Lepreux


1ère Partie
INTRODUCTION HISTORIQUE
Chapitre 1
La presse du Nord avant la Révolution - Les Panckoucke - Le Chevalier de l'Espinard - Le Collège des Philalèthes



La presse comptait déjà plus d'un siècle d'existence à Paris, lorsqu'elle fit son apparition dans la Flandre. Nous ne pouvons en effet tenir compte des quelques petites brochures ou nouvelles à la main qui parurent antérieurement, et dont la curiosité publique, à défaut de journaux périodiques, se montrait friande. Ces nouvelles à la main nées d'une circonstance particulière et ne présentant aucun caractère de périodicité furent assurément aussi nombreuses dans ce département que dans le reste de la France.

Nous laisserons également de côté la petite plaquette éditée chaque année, depuis 1609, par J.-B. Henry, imprimeur, sous le titre de Renouvellement et création de la Loy de la Ville de Lille qui contenait la liste officielle des membres du magistrat et la répartition de leurs fonctions. C'était là bien plus une sorte d'annuaire qu'un journal. Des publications semblables se faisaient d'ailleurs dans toutes les villes d'un peu d'importance : il en existe d'intéressantes, à Cambrai notamment.


La première publication réellement périodique dans le département remonte à l'année 1746. Ce fut Joseph Panckoucke, libraire à Lille, qui la fit paraître sous le titre de l'Abeille flamande recueil périodique. Son existence fut d'ailleurs bien éphémère, l'espace de dix numéros ou plutôt de dix nombres. Panckoucke était probablement en relations avec des journalistes anglais, ce qui expliquerait cette expression : nombre (Number, en anglais), au lieu du mot français : numéro. Panckoucke était flamand, il est vrai ; ce fut peut-être sa langue maternelle qui lui donna cette inspiration. L'Abeille flamande était pour ainsi dire une revue historique de la Flandre, sœur aînés de ces annales des sociétés savantes de nos jours qui sous le nom de mémoires exhument les souvenirs du passé et mettent les âges présents en relation directe avec les époques antérieures. A côté des mémoires historiques, elle publiait des annonces de librairie et l'analyse bibliographique des ouvrages nouveaux.

La famille Panckoucke avait la bosse du journalisme, car ce fut encore un Panckoucke qui édita la seconde feuille périodique de notre département. Ce n'était plus André-Joseph Panckoucke, mort en 1753, mais bien son fils Charles-Joseph, celui-là même qui se rendit à Paris en 1763, y acheta le Mercure de France dont il continua la publication, et y fonda plus tard le Moniteur universel (1798) et la Clef du Cabinet des Souverains (an V).


Ce Panckoucke était un homme adroit s'il en fut, "patriote en diable, disait le spirituel auteur des Révolutions de France et de Brabant - Camille Desmoulins - quand il sort des ateliers où s'imprime son Moniteur universel, brave à trois poils, qui veut voler au secours des Brabançons, et fléau redoutable pour l'aristocratie ; qui lorsqu'il met les pieds dans l'officine de son Mercure de France, dédié au roi, subit une métamorphose complète, et devient aristocrate enragé."

Charles-Joseph Panckouke entreprit donc en 1761 la publication d'une feuille périodique qu'il intitula : Annonces, Affiches et avis divers pour les Pays-Bas François. Il avait obtenu l'autorisation de faire paraître cette feuille des successeurs de Renaudot (Théophraste Renaudot, médecin, regardé comme le fondateur du journal en France, dont on a inauguré naguère à Paris, la statue qui orne la rue de Lutèce) dans l'exercice du privilège concédé à l'inventeur du journal en France par ordonnance royale du 8 juin 1629, privilège auquel devait succéder Panckoucke. Et, en effet, en 1787, le ministère des affaires étrangères dont dépendait la Gazette, donnait à bail l'exercice du privilège de cette feuille au même Panckoucke qui possédait déjà le Mercure. Le malicieux journaliste deux ans après, comme nous l'avons dit, fondait le Moniteur universel, et au moyen de ses trois feuilles jouait trois jeux différents : "Il engageait le Moniteur dans les voies nouvelles, faisait du Mercure l'organe du parti constitutionnel et conservait dans la Gazette le journal du vieux régime."

Entre les mains d'un tel homme on pourrait croire que les Annonces durent prospérer, il n'en fut rien ; deux ans suffirent à les tuer au grand désespoir sans doute de leur fondateur. Celui-ci pourtant ne perdait pas courage, et comptait avant de s'asseoir sur les ruines de son premier journal, s'assurer un succès plus certain, en fondant une autre feuille, le Courrier du commerce, qui devait paraître au commencement de l'année 1762, mais il n'en publia que le prospectus. Deux ans après Panckoucke quittait Lille et s'installait à Paris où il fut plus heureux comme journaliste.
Un troisième essai de fondation de journal fut tenté vingt ans plus tard par un sieur Joseph Paris qui se faisait appeler le chevalier de l'Espinard. La publication des Affiches tant à Paris qu'en province, formait à cette époque un privilège accordé primitivement au chevalier de Meslé qui l'avait vendu à M. Le Bas de Courmont, fermier général. Celui-ci avait cédé son privilège à une société composée dé MM. Boussaroque, Benezech et Perrot de Chezelles. Ce fut avec ces derniers que le chevalier de l'Espinard dut traiter ; il leur acheta le droit d'exploiter les dites Affiches et Annonces dans la province de Flandres, mais en s'interdisant de traiter de matières politiques dont le privilège appartenait à la seule Gazette de France. Les Affiches de l'Espinard parurent d'abord une fois la semaine, puis deux fois ; en 1784, elles changèrent de titre et devinrent tout simplement la Feuille de Flandres.
L'Espinard continuait paisiblement sa publication, lorsque parut le décret qui divisa la France en quatre-vingt-trois départements. Naturellement le directeur de la Feuille de Flandres crut devoir changer le titre de son journal, ne fut-ce que pour plaire au gouvernement qui, paraît-il, et comme nous le verrons plus tard, avait l'oeil sur lui ; il l'appela la Gazette du département du Nord.

Depuis longtemps déjà une loge maçonnique existait à Lille : en 1785, un de ses membres, Valentino, professeur de chimie et ami des lettres, conçut le projet d'y annexer une section d'études scientifiques et littéraires, sous le nom de Collège des Philalèthes. Or l'axiome moderne, pas de société sans organe de relation, avait cours aussi à cette époque. De là la fondation d'un Bulletin du Collège des Philalèthes, ancêtre du Bulletin de la Société des Sciences de Lille.

Tels sont les journaux qui parurent à Lille avant la période révolutionnaire. Ajoutons-y le Journal du Hainaut et du Cambrésis créé à Valenciennes en 1788 et nous aurons passé en revue tout l'effectif de la presse du Nord sous l'ancien régime. Le Journal du Hainaut et du Cambrésis avait été fondé par un certain chevalier de Limoges, membre de plusieurs académies. Il publiait les nouvelles politiques ainsi que des articles de littérature et d'archéologie. A chaque numéro de ce journal qui paraissait deux fois la semaine était jointe à titre de supplément une feuille intitulée : Affiches, annonces et avis divers pour les provinces du Hainaut et du Cambrésis. Ces deux publications cessèrent de paraître à la veille de la Révolution. Mais si le pays produisait peu par lui-même, il convient toutefois d'ajouter que la circulation des périodiques français ou étrangers était assez active dans le Nord. Le bureau général des gazettes étrangères, pour ne citer que lui, avait, dès avant 1770, de nombreuses succursales en Flandre. Les principales étaient à Cambrai, chez Berthoud ; à Douai, chez Dubois, libraire ; à Dunkerque, chez Fourcade, distributeur de gazettes ; à Lille, chez Jacquez, libraire ; à Maubeuge, chez Wilmet, libraire ; à Valenciennes, chez Quesnel, etc. Et ces gazettes dites de Hollande, bien plus intéressantes et jouissant d'ailleurs de plus de liberté que les journaux imprimés en France qui avaient le privilège "de ne rien dire, ou de dire des riens".